Le MBA MRH de l'Institut Supérieur du Commerce accueille, pour leur enseigner les métiers du management des ressources humaines, mais aussi de l'audit du management des ressources humaines, et plus largement de l'économie et de l'organisation du travail dans les organisations marchandes et non marchandes, les diplômés en Economie-gestion-droit mais également en sciences humaines et sociales, et les professionnels désireux de poursuivre leur formation.
lundi 20 mai 2013
Pour pérenniser les démarches de Responsabilité Sociale (ou sociétale) de l'Entreprise, il faut y associer des syndicats (Entreprise et carrières, avril 2013)
Marc Morin coordonne un groupe de recherche thématique sur la socioéconomie des négociations et le syndicalisme dans le cadre de l’Association pour la Recherche Interdisciplinaire sur le Management des Entreprises (ARIMHE). « Problèmes économiques » (mars 2013, n°3063) vient de reprendre une version d’un de ses articles, paru dans la Revue des sciences de gestion, sous le titre « Responsabilité sociétale des entreprises et activité syndicale ». Entreprise et Carrières l'a interrogé :
Les syndicats relais de la RSE
Les démarches RSE sont aujourd’hui laissées à la bonne volonté des entreprises. Leur utilisation marketing tend à en décrédibiliser la portée. Associer les syndicats à la RSE permettrait d’inclure la responsabilité sociale dans un nouveau contrat social d’entreprise.
E&C : il vous semble aujourd’hui nécessaire d’institutionnaliser la RSE pourquoi ?
Marc Morin : le concept de Responsabilité Sociale des Entreprises se développe surtout à partir des années 80 avec l’accélération de la mondialisation de l’économie, et d’une prise de conscience de son impact dans la durée et au niveau planétaire. La RSE résulte de demandes de la société civile (associations diverses, Ong …) réclamant une meilleure prise en compte des impacts environnementaux, mais aussi économiques et sociaux d’une activité productive qui se traduit par plusieurs externalités négatives supportée par les riverains, les salariés, les citoyens, les consommateurs. Le paradoxe de la RSE est son extrême ambition puisqu’elle concerne potentiellement tous les hommes, dans tous les aspects de leur vie et de leur activité, et son caractère complètement discrétionnaire puisque, à défaut de régulation provenant de sources extérieures aux marchés, il appartient aux seules entreprises de l’intégrer volontairement…, ou pas. La RSE fait partie de ces « soft laws » non contraignantes, optionnelles, et partant susceptibles de varier selon l’interprétation des entreprises et surtout leurs intérêts conjoncturels. D’où la tentation d’en faire un outil de marketing, souvent davantage destiné à soigner l’image de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes que de l’engager réellement sur le triple front du développement durable, économique et social ou sociétal. Bref, la RSE est toujours menacée de n’être qu’une figure de discours à la limite de l’incantation. Lui donner aujourd’hui une vraie réalité revient à essayer de l’institutionnaliser pour en confirmer la nécessité morale et légale.
E&C : par quoi passerait cette institutionnalisation?
Marc Morin : institutionnaliser, c’est formaliser et pérenniser en encastrant de nouvelles conventions de comportement et de décision dans les organisations d’une culture donnée. Cela commence par le partage des valeurs, ici des valeurs de durabilité, donc d’équité, d’éthique, de responsabilité. Lesquelles doivent être enseignées à l’école et à l’université, dans les écoles d’administration et de commerce qui forment les futurs managers du privé et du public. La définition rigoureuse et l’organisation des pratiques est nécessaire. La norme ISO 26 000, initiée en 2001 par des organisations de consommateurs présente par exemple des lignes directrices pour tout type d’organisation cherchant à assumer les impacts de ses décisions et activités, et à en rendre compte. Elle définit un objectif : « contribuer au développement durable y compris de la santé et du bien-être de la société », et des moyens : « prise en compte des attentes des parties prenantes par l’écoute et le dialogue, respect des lois en vigueur et des normes internationales, intégration à l’ensemble de l’organisation et mise en œuvre dans toutes les relations de celles-ci ». Au-delà de la bonne volonté plus ou moins fluctuante des entreprises, les relais concrets qui permettraient de pérenniser la démarche de RSE font toutefois défaut. Nous suggérons donc d’associer les syndicats à cette politique de responsabilisation des entreprises puisqu’ils sont les premières parties prenantes, au sein même de l’entreprise et que, du fait de leur organisation (sections, fédérations, unions départementales…) sur le terrain et à l’interface du politique, de l’économique et du social, ils sont à même de drainer les débats sociaux, environnementaux et sociétaux dans le cadre des négociations d’entreprise et de divers rapprochements avec les parties prenantes. Les syndicalistes sont à la fois salariés, riverains, consommateurs, acteurs politiques, spécialistes de la négociation, et la plupart des confédérations françaises entretiennent des contacts avec les collectivités territoriales et des associations locales, régionales ou nationales. Nombre de syndicats comprennent également en leur sein des associations de consommateurs (FO conso créée en 1974, CGT consommateur en 1979, Asseco-CFDT en 1981…).
E&C : comment concrètement cela pourrait-il se traduire ?
Marc Morin : nous n’avons pas en France une tradition de négociation qui en fait une pratique courante et coutumière comme en Allemagne ou dans les pays nordiques. Et on y oublie trop souvent que, si la négociation a un coût pour l’entreprise, dans la mesure où elle consiste à accorder des avantages notamment salariaux que celle-ci n’aurait pas forcément accordés spontanément, elle a aussi de nombreux avantages : elle crée un contrat qui contribue à améliorer le climat social, la motivation, la productivité, la compétitivité par la qualité... Elle contribue à canaliser les revendications salariales dans un débat avec le management, dont l’issue peut être le compromis et la construction de règles communes et non l’affrontement porteur pour tous de coûts et de décroissance... Associer les syndicats aux problématiques RSE reviendrait à la fois à faciliter les négociations de certains mouvements associatifs et, dans une période de reflux de l’audience syndicale, permettrait aux centrales de consolider leur légitimité en élargissant leur champ d’intervention.
E&C : comment convaincre les entreprises de partager avec les salariés la RSE qui constitue aujourd’hui leur pré-carré ?
Marc Morin : c’est parce que la RSE est aujourd’hui laissée à l’initiative des seules directions d’entreprises qu’elle tend à perdre sa légitimité au profit d’une simple communication d’image de marque. Nous aboutissons au paradoxe d’une tendance à déresponsabiliser complètement une démarche de responsabilisation, qui peut apparaître purement manipulatoire de l’opinion. Associer les syndicats à la RSE reviendrait à donner à la démarche assise et profondeur. N’oublions pas non plus que les entreprises françaises souffrent aujourd’hui d’un manque de compétitivité qui s’explique, pour partie, par leurs modes de management passablement autoritaires. Plusieurs travaux montrent que le climat social des négociations est en France l’un des plus difficiles des pays industrialisés et que, traversées de défiances mutuelles aux retombées largement contreproductives et désavantageuses pour les parties prenantes, les expériences réellement participatives ont en moyenne tournées court. Les journées de grève ont certes diminué au fil des années, mais la démotivation, l’absentéisme, le présentéisme passif et différentes formes de grèves diffuses et plus individualisées coûtent cher aux entreprises en termes de productivité et de qualité. Ceci dit, il appartient à l’État d’arbitrer entre les intérêts marchands et non marchands. Pourquoi ne pas mettre le débat sur la place publique en organisant des états généraux sur la RSE, et en fixant plus précisément les règles d’un nouveau contrat social qui associerait vraiment les syndicats aux décisions stratégiques des comités de direction et des conseils d’administration ?